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En Moldavie, l’ombre du Kremlin sur la victoire mitigée du référendum sur l’UE

le point diplomatique

Zone de turbulences en Moldavie après le référendum sur l’Union européenne. Alors que les sondages prédisaient ces derniers mois une nette victoire du “oui” pour une adhésion à l’UE, le scrutin de dimanche a accouché d’une très courte majorité – 50,45 % des voix, selon les résultats presque définitifs publiés, lundi 21 octobre.

 

Le “non” a même fait la course en tête pendant quelques heures dans la nuit de dimanche à lundi, avant que le “oui” ne reprenne finalement le dessus. “Avec quelques milliers de voix d’écart, c’est la diaspora qui aura fait la différence”, comme l’explique notre correspondante Maria Gerth-Niculescu.

 

Cette victoire étriquée pourrait ébranler le pays dans son rêve européen. Mais ce score serré pourrait bien trouver son origine dans une tentative de déstabilisation du scrutin, selon la présidente de la Moldavie. Dans un communiqué publié dans la nuit de dimanche à lundi, Maia Sandu a dénoncé “une attaque sans précédent contre la démocratie”. “Des groupes criminels, agissant de concert avec des forces étrangères hostiles à nos intérêts nationaux, ont attaqué notre pays à coups de dizaine de millions d’euros, de mensonge et de propagande”, a-t-elle notamment déclaré.

 

“Derrière ces mots, la présidente de la Moldavie cible sans les nommer la Russie et tous les candidats qui ont le soutien de Vladimir Poutine”, explique Iulia Badea-Guéritée, journaliste en charge de la Moldavie à Courrier international et spécialiste du sujet à la Maison de l’Europe de Paris.

Les institutions européennes ont livré lundi la même analyse que la présidente moldave. À Bruxelles, la Commission a estimé que “le vote avait eu lieu dans un contexte d’interférence et d’intimidation sans précédent de la part de la Russie (…) visant à déstabiliser le processus démocratique” en Moldavie. La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a quant à elle félicité Maia Sandu pour son “courage”.

 

Achat de votes massif
La Russie a, pour sa part, nié toute interférence dans le processus électoral moldave. Tout en dénonçant des “anomalies” dans le décompte des voix pour le référendum de dimanche, le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, a exigé des “preuves” concernant les “graves accusations” de la présidente pro-européenne moldave Maia Sandu.

 

Les soupçons d’ingérence du Kremlin ne sont, cependant, pas nouveaux. En remontant plusieurs décennies en arrière, il est déjà possible de retrouver la trace d’un désordre interne entretenu par la Russie, comme l’a expliqué à RFI Florent Parmentier, politologue et expert de l’Europe centrale et orientale : “La politique russe, depuis maintenant 30 ans, consiste essentiellement à avoir un niveau de désordre suffisamment important au sein du système politique moldave pour qu’il n’y ait pas de volonté claire soit de se réunifier avec la Roumanie, soit de prendre un chemin clair vers l’UE qui éloignerait définitivement la Moldavie de Moscou.”

 

 

Cette influence de Moscou est notamment sous-entendue par la présidente moldave Maia Sandu quand elle assure dans son communiqué – sans entrer dans les détails – “avoir des preuves évidentes que (d)es groupes criminels visaient à acheter 300 000 votes – une fraude d’une ampleur sans précédent”.

 

Une pratique qui a déjà été révélée avant le référendum de dimanche, comme le détaille Iulia Badea-Guéritée : “Il y a eu en amont du scrutin des essais de corrompre, d’acheter directement les électeurs. Les médias moldaves ont parlé d’entre quelque 100 000 et 250 000 électeurs moldaves qui auraient reçu, sur leur téléphone portable, des propositions de sommes d’argent de la part de certaines banques russes.” Un vote “non” au référendum sur l’UE qui se négociait entre 50 et 100 euros, selon le directeur de la police nationale moldave, Viorel Cernauteanu.

 

Florent Parmentier a fait le même constat ces derniers mois : “Ce qu’on a vu, c’est un investissement très important de la Russie à travers plusieurs schémas d’achat de vote, de corruption, dont un qui a été déterré à quelques jours du scrutin.” D’après le groupe de réflexion WatchDog basé en Moldavie, la Russie a dépensé une centaine de millions de dollars pour influer sur le scrutin de dimanche.

 

L’oligarque Ilan Shor, un des relais de Moscou
Les tentatives d’ingérence russe en Moldavie prennent différents visages, à commencer par celui d’Ilan Shor. Cet oligarque israélo-moldave controversé, qui réside en Russie, a fui la Moldavie pour échapper à la justice. Condamné en 2017 pour corruption dans le “crime du siècle” en Moldavie – il a été reconnu coupable d’avoir détourné près d’un milliard d’euros de plusieurs banques, ce qu’il conteste –, il est aussi accusé d’avoir financé des manifestations contre le gouvernement moldave pro-UE.

 

 

Plus récemment, Ilan Shor a été condamné pour fraude pour avoir tenté de corrompre au moins 130 000 électeurs, mais il a nié toute inconduite. Ces trois derniers mois, il aurait aussi dépensé plus de 136 000 euros – avec un autre oligarque moldave en fuite, Veaceslav Platon – pour diffuser sur Facebook des campagnes visant à discréditer le processus d’intégration de la Moldavie à l’UE et à soutenir la Russie.

 

Plusieurs autres personnalités politiques moldaves de premier plan sont aussi pointées du doigt pour leur collusion avec Moscou. “Je pense notamment à Igor Dodon, l’ancien président de la Moldavie qui a été ouvertement soutenu par les Russes. Tout comme Alexandr Stoianoglo, le rival de Maia Sandu à la présidentielle actuelle, qui a été président du groupe d’amitié Moldavie-Russie (et qui est soutenu par les socialistes prorusses, NDLR)”, détaille Iulia Badea-Guéritée.

 

Malgré l’influence de Moscou sur la scène politique moldave, le “oui” l’a tout de même emporté au référendum sur l’UE. Interrogé par l’AFP, Florent Parmentier estime que le résultat serré ne devrait cependant pas avoir d’impact sur la poursuite des discussions formellement entamées en juin avec les 27 États membres en vue d’une adhésion. Mais la donne pourrait changer si Maia Sandu était battue par Alexandr Stoianoglo lors du second tour de la présidentielle, le 3 novembre prochain.